L'espace autobiographique dans les derniers textes d' Hélène Cixous
Ángeles Sirvent Ramos
Universidad de Alicante
"Toutes les biographies comme toutes les
autobiographies comme tous les récits racontent une histoire à la place d'une
autre histoire".
Hélène Cixous, Photos de racines.
Aventure hasardeuse celle d'entreprendre de jouer-jouir dans un espace autobiographique, dans l'écriture de celle (Hélène Cixous) qui se demande ce qu'est l'autobiographie; celle qui, d'un côté, s'en détache, et de l'autre considère que l'autobiographie est tout, elle est l'écriture même de l'écrivain, donc, son écriture même.
Évidemment, l'écriture
cixousienne déçoit l'entreprise autobiographique. Si dans l'autobiographie le
"contenu", le référent, passent au premier rang, les livres de Cixous
se prêtent mal au résumé, les données de la vie sont dissimulées dans la toile
de l'écriture; la vérité se voile tandis que la fiction se fait lire en tant
que vérité. Cixous met en scène un texte de fiction qui est le texte de la vie
même car ce qui l' intéresse, c'est le théâtre de l'écriture où
l'auteur-Hélène, je-elle, je-"aile", n'est qu'un personnage dans la distance, qui
revient et s'échappe sans cesse.
Quels sont donc les fils
de ce tissu, de cette toile de l'écriture qui, à travers la fictionnalisation
des mots, à travers une écriture parfois énigmatique et toujours jouissante,
nous permettraient -d'une façon juste et injuste en même temps- d'exprimer, par
rapport aux derniers textes d'Hélène Cixous, que Or (1997) c'est le
père, Osnabrück (1999), la mère, Les rêveries de la femme sauvage (2000),
l'Algérie et Le jour où je n'étais pas là (2000), l'enfant perdu? C'est là précisement notre enjeu.
Si je relève ce défi c'est
que Photos de racines (1994) d'Hélène Cixous -tout comme le Roland
Barthes par Roland Barthes- ouvre la porte -après la mort de l'auteur- et
nous invite à passer dans l'espace du moi, un moi, il est vrai, fragmentaire,
textuel. En même temps Photos de racines fonctionne comme paratexte de
son oeuvre de fiction et permet -et nous oblige- à réaliser une relecture de
ses textes, comme de ceux de Robbe-Grillet après Le miroir qui revient.
L'album de Photos de racines est l'album de la mémoire où les racines
allemandes, juives, marocaines et françaises se font écho et conforment
l'ambivalence et la pluralité.
Cixous survole l'espace
autobiographique en mettant toujours l'accent sur la 3e dimension du
terme auto-bio-graphie avec une syntaxe ouverte, avec des jeux sémantiques
admirables. Si dans Les rêveries de la femme sauvage l'Algérie passe
devant nous à travers, par exemple, le traumatisme du vélo, événement qui
déclenche en même temps la violence et la distance psychologique définitive
avec le frère, dans Or -[h]or[s]-, Cixous "ressuscite" le père
[m]or[t], [Ge]or[ges], à travers l'apparition des lettres du père. Mais les
lettres apparues, sont-elles un prétexte? L'espace prétendument
autobiographique cède le pas sans cesse à un travail d'intertextualité où les
lettres de son père font écho aux lettres de Kafka, où la linéarité se brise,
où l'on avance à petits pas dans le récit sans nous écarter nonobstant du point
initial, parce que ce qui importe c'est le travail de l'écriture, l'amour des
mots.