Un phénomène de sémantique historique: la collision homonymique

 

Jacques Lemaire

Université libre de Bruxelles

 

 

 

Le phénomène linguistique relatif aux conflits entre homonymes présentent des similitudes avec celui de l=attraction paronymique, mais aboutit à des résultats opposés.

Les formes homonymes procèdent souvent en français de l'érosion phonétique qui a réduit à des mots monosyllabiques une très grande quantité de mots polysyllabiques latins. En général, les locuteurs s'accommodent de ces monosyllabes homonymes, à la condition que le contexte dans lequel ces termes sont employés soit suffisant pour déterminer leur signification avec pertinence.

Dans certains cas, il y a obstacle à une communication aisée. Le linguiste français d'origine suisse Jules Gilliéron a mis ce phénomène de la collision homonymique en évidence en montrant que ce genre de conflits entre homonymes a joué un rôle déterminant dans l'évolution du lexique français.

Ce phénomène veut que lorsque l'évolution phonétique de deux mots (parfois) aboutit à des termes homonymes ou paronymes, un (ou plusieurs) des deux mots disparaisse(nt) ou se différencie(nt) par le recours à un doublet, si les concepts dont ces mots sont porteurs se situent dans le même ordre d'idées.

Notre contribution aura pour ambition de présenter une typologie de la collision homonymique en montrant:

1. que tous les homonymes peuvent disparaître (cas de l=ancien français ert, dérivé du latin erat et du latin erit) ;

2. qu=un seul homonyme se maintient, la langue recourant à un autre vocable pour exprimer le concept du terme disparu (cas de moudre, conservé au sens de *rendre mou, écraser+, mais remplacé par traire au sens de *tirer le lait d=un animal mammifère+) ; dans ce cas, la disparition ne s=accomplit pas toujours parfaitement (l=adjectif monde, signifiant *pur+ est sorti de l=usage face à monde venant de mundum, mais son antonyme immonde s=est maintenu);

3. qu=une absorption peut se produire entre termes paronymes (le français moderne étalon provient à la fois d=estelon < francique stalo par le picard estelon avec modification vocalique et du mot germanique stall);

4. que, dans certains cas rares, tous les homonymes peuvent se maintenir (cas de errer dérivé de errare et de iterare, ou de pie, dérivé de pia et de pica), pourvu que leurs significations soient suffisamment éloignées.

La communication tendra à expliquer le fonctionnement du système, en s=appuyant sur des exemples empruntés à toutes les époques de l=histoire du français et de ses dialectes.