Les "terres nouvelles" dans les reportages de Gabrielle Roy

 

Lidia González Menéndez

Universidad de Oviedo

 

La notoriété de Gabrielle Roy, l’un des grands noms de la littérature canadienne, provient de ses romans et récits, tandis que sa prolifique étape journalistique qui précède la publication du lauréat Bonheur d’occasion (1945), d’abord à titre de pigiste, après comme reporter, est très peu connue et étudiée. Son analyse, néanmoins, permet de saisir la vigoureuse éclosion d’éléments qui continueront à se ramifier tout au long de son oeuvre narratif postérieur.

L’élaboration des quarante-sept reportages que Roy publia entre 1940 et 1945, au Bulletin des agriculteurs pour la plupart, lui fournit l’occasion d’explorer le Québec, terroir de ses ancêtres, et surtout la ville de Montréal, où elle avait choisi de s’installer de retour dans son pays après un périple européen; la redécouverte, pareillement, de son Manitoba natal et l’incursion dans le reste des provinces canadiennes de l’ouest. Or, dans notre travail nous montrerons que ces reportages, tout comme ses billets à la pige publiés immédiatement avant, se montrent empreints de nouveauté et de fraîcheur, et nous verrons que Roy se penche aussi sur l’inconnu dans sa tâche comme reporter, étant donné que la terre manitobaine qui l’avait vu naître, et à plus juste titre le Québec et l’ouest canadien, sont emplis d’altérité, en autant que la journaliste les découvre ou les re-découvre au fur et à mesure qu’elle les parcourt pour en faire matière d’écriture. C’est donc dans son propre pays que Gabrielle Roy décèle des "terres nouvelles", expression puisée chez André Gide qui émerge à plusieurs reprises dans l’ensemble créatif royen et par laquelle nous tenons à souligner, tel que notre analyse le mettra en évidence, la perception du Canada comme une mosaïque composite et diversifiée à l’extrême, et où le voyage se profile comme l’outil de confrontation entre l’ici et l’ailleurs.

A travers sa dynamique et changeante présentation des "terres nouvelles", Roy parvient, tel que nous le montrerons, à dépasser des localismes et à s’élancer vers l’universalité, car les différences linguistiques, sociales ou culturelles qui distinguent les divers groupes ethniques portraiturés dans ses reportages, en sont autant des signes identitaires, contribuant à configurer un certain sens de la fraternité, laquelle agglutinerait la grande famille humaine. Enfin, l’analyse des premières armes littéraires de l’écrivaine en tant que germe de sa fiction ultérieure nous mènera à mieux jauger l’évolution de son oeuvre, depuis le modeste embryon de ses écrits journalistiques — le portique de son célèbre roman Bonheur d’occasion — à son autobiographie posthume, La détresse et l’enchantement (1984) et Le temps qui m’a manqué (1997).