La revendication du corps chez Lorette Nobécourt. Désir vs. aliénation

 

François Filleul

Universidad de Málaga

 

 

Le monde culturel français a engendré ces dernières années des productions qui posent la question du corps en des termes d'une violence inusitée, qui pourrait même paraître gratuite. Un ensemble d'œuvres, cinématographiques (Carne ou Seul contre tous de Gaspar Noé, ou encore le troublant Sombre de Philippe Grandieux, pour ne citer que quelques titres) et littéraires, se sont construites récemment autour d'une sexualité étalée au grand jour et volontiers déviante. Sans aller plus loin, le scandale provoqué cet été par Baise-moi, film de Virginie Despentes, auto-adapté d'un roman d'elle-même, a démontré la puissance polémique et fédératrice de ces nouveaux produits culturels, dans la mesure où ils réclament du public et de la société en général des prises de position non seulement esthétiques mais aussi éthiques et politiques - la censure, privée ou publique, entrant dans la ronde. Et c'est qu'à ce caractère explicite et provocant du sexe se mêle une représentation, à la limite du supportable, de la violence physique et du meurtre.

Il est encore assez aventureux de proposer un corpus de ces œuvres, souvent d'inégale qualité, et dont on devra d'abord se demander en quoi elles peuvent former un courant organisé. S'agit-il d'une mode passagère, inspirée de l'industrie du divertissement, voire de la littérature américaines (rappelons l'impact d'un Bret Easton Ellis et de son American Psycho)? Au manque de recul envers la production contemporaine s'ajoutent les habituels enjeux économiques et idéologiques. Plus que jamais, rejeter ces textes comme scories populaires ou les accepter comme objets d'étude révélateurs de l'état du monde, c'est en même temps se situer soi-même sur l'échiquier social.

Si un courant existe néanmoins, Lorette Nobécourt en est assurément une représentante éminente. Cette jeune romancière de 32 ans, auteur de trois romans et à propos de laquelle nous pouvons donc déjà parler d'œuvre, semble dénoncer diverses pathologies psychosomatiques lourdes liées à l'oppression et à l'injustice. Il est intéressant, chez ses personnages - toutes des femmes, de voir comment le besoin de parler, d'écrire se double d'un véritable prurit de l'épiderme, démangeaisons, littéraires et littérales, se rejoignant en un accès de hargne envers les institutions qui les ont corsetées dès l'enfance. De la rupture familiale à l'irritation insoutenable, de la découverte des sens à l'exacerbation de jeux sexuels sadiques, les textes s'écrivent comme en réponse au même problème de santé et posent la même question du corps dans le mystère de ses fonctions organiques.

Nous nous efforcerons de montrer en quoi c'est finalement l'aliénation de l'individu dans la famille, dans la société, dans le monde d'après l'Holocauste que ces maladies et ces relations sexuelles perverses entendent dénoncer. Nous défendrons en effet l'hypothèse que l'auteur utilise le désir et une extrême matérialité du corps, jusque dans la maladie, comme armes contre l'aliénation dont les temps présents menacent ses personnages. Nous soutiendrons que, à la différence de Michel Houellebecq et de son utopie bâtie contre le désir, Nobécourt rejoint les positions de Herbert Marcuse et n'entrevoit la solution qu'à travers l'expression libre du corps, dût-elle conduire ses héroïnes en prison.